Thornton • « Returns no more, I will not watch the ocean. »

Le métro. Rares étaient les personnes qui avouaient apprécier de prendre ce transport en commun. Thornton était pourtant de cette catégorie de personne. L’enfermement à plus de six pieds sous terre et la lumière blanche qui leur donnait à tous des airs cadavériques ne l’ennuyait en rien. Il ne se formalisait que peu des apparences et préférait creuser le fond plutôt que se cantonner à la forme. Le fait de se retrouver coincé en lieu clos et sans possibilité d’échappatoire avec des inconnus ne lui occasionnait aucune crise de claustrophobie. Même lorsque la panne les plongeait dans une semi-obscurité, dans un silence dérangeant et dans une chaleur étouffante. Subir les pleurs sans fin de gamins ne lui infligeait aucune migraine désastreuse. Tout comme l’odeur bien souvent nauséabonde des aisselles environnantes, en fin de journée, voire en début, ne le gênait pas davantage. Pas plus que les germes déposés par tout à chacun sur les sièges et autres barres où se tenir. Thornton appréciait ces moments. Se retrouver avec d’autres individus. Ils ne se connaissaient pas. Ils n’avaient rien en commun. Ils se dirigeaient vers d’autres destinations et empruntaient des chemins aussi variés les uns que les autres. Et pourtant, dans un moment fugace, il côtoyait ces histoires endormies. Il pouvait alors imaginer ce qu’était leur existence. L’étudiante rêveuse qui soupirait d’amour en pensant à son professeur de littérature qui lui avait adressé un sourire encourageant à sa bonne réponse. Le businessman pressé qui avait dû porter en réparation sa voiture après un accident sans gravité face à un berger allemand. La vieille femme qui baladait partout où elle se trouvait sa grande histoire d’amour tragique à la suite de son veuvage. S’en remettrait-elle un jour ou ne trouvera-t-elle le bonheur que dans le repos éternel, allongée près de son époux ? Cette mère de famille débordée qui ne sait plus où donner de la tête mais qui compte bien faire une scène à son époux. Elle trouvait sa secrétaire un peu trop attrayante. Et ce fan de rock qui perdait des neurones en proportion avec les décibels qui lui explosaient les oreilles et celle de son voisin se reconstituait le concert de la veille avec ses amis. Et cette jeune femme, perdue dans son livre, s’y réfugiant pour ne pas affronter la réalité et le regard des autres.

« Je ne suis pas sûr que les Beatles aient été d’accord avec cette version particulière… » murmura-t-il en se penchant vers l’oreille de sa voisine.

De l’autre côté se trouvait l’amateur de rock, hurlant de manière assez fausse le célèbre Hey Jude du mythique groupe de Liverpool. Choix musical plutôt détonnant pour ce métalleux d’apparence. Sa voisine leva rapidement les yeux de son livre pour jeter un coup d’œil sur l’objet d’attention de Thornton et se contenta de pousser un soupir avant de se replonger dans la lecture de son livre. Le jeune homme fit une petite moue et observa le reste des passagers, gardant le silence quelques instants avant de reprendre la conversation pour laquelle il ramait sans le moindre conteste :

« Vous avez remarqué ce regard absent que les usagers du métro prennent dès qu’ils s’y installent ? Ils regardent par la fenêtre le tunnel sombre où l’on ne distingue rien. Ils fixent sans le voir un quelconque chewing gum écrasé. Ils se plongent dans un magazine pour ne pas à se voir. C’est drôle, non ? »

Une nouvelle fois la jeune femme posa son regard gris vert sur lui et face à son sourire, elle se plongea à nouveau dans son livre avec pour toute réponse :

« Ou peut être qu’ils souhaitent vraiment finir le livre qu’ils sont en train de parcourir. »

Thornton grimaça et leva les mains en guise d’excuse.

« Pardonnez-moi. Je vous laisse à votre lecture. »

Il jeta un coup d’œil sur sa gauche, le métalleux chantonnant toujours, mais décida de reporter son attention sur sa voisine. N’y tenant plus, il réitéra la conversation, ne semblant vouloir lâcher l’affaire :

« Je descend au prochain. »

La ravissante inconnue lui jeta un regard interloqué.

« Je le précise pour le cas où vous y descendriez aussi que vous ne croyez pas que je suis un dangereux détraqué qui vous suivrez. »

Elle haussa les sourcils avant de les froncer et de s’éloigner imperceptiblement.

« Je ne le suis pas, rassurez vous. »

Nouveau regard noir. Nouvelle excuses.

Finalement, le métro amorça un ralentissement pour finalement s’arrêter à la station considérée. Thornton eut l’agréable surprise de découvrir que sa voisine se levait et sortait également à cette sortie. Il voulut lui faire remarquer qu’elle agissait comme une détraquée mais le regard qu’elle lui lança lui fit faire marche arrière. Galamment, il la laissa sortir en premier et lui assura d’une excellente journée. Puis, sur le quai, il observa sa longue et fine silhouette disparaître dans les escaliers. Quelle était son histoire ? Et vers quelle histoire se dirigeait-elle ? Il l’ignorait encore mais son histoire allait directement la conduire à lui.

« Ce n’est pas de votre faute. Ca n’a rien à voir avec vous. Vous êtes quelqu’un de charmant, drôle et attentionné. Ma copine, Judy, vous trouve même très mignon mais … »
« Attendez ! l’interrompit-il. Votre copine Judy me trouve mignon ? »

La jeune femme rousse posa un regard interloqué sur Thornton avant d’acquiescer tandis que ce dernier s’offusquait de l’aveu. Il poussa un profond soupir alors même que tout son être respirait la souffrance et la déception. « Oh c’est pas vrai, ça. Judy me trouve mignon. » Il saisit le menu qui se trouvait devant eux et jeta un coup d’œil sur les tarifs proposés dans ce petit café agréable avant de poursuivre son offuscation : « Déjà … trois dollars et quarante cinq cents de gâché pour la mauvaise fille. Vous n’auriez pas pu le dire plus tôt que j’invitais la mauvaise fille ? » l’interrogea-t-il faussement outragé avant qu’elle n’explose finalement de rire, provoquant chez le jeune homme un sourire sincère.

C’était tout ce qui comptait pour lui. La faire sourire. Et ce par n’importe quel moyen. Il n’avait pas réussi dans le métro. Et pour cause, il l’avait appris plus tard, elle venait de se faire renvoyée de l’agence de publicité dans laquelle elle travaillait. Mais ils ignoraient tous les deux alors que la journée qu’elle allait passer seraient à chaque instant plus horrible que le moment précédent. En rentrant chez elle, elle avait découvert son petit ami avec une autre. La rupture avait été douloureuse et elle s’était réfugiée dans un bar restaurant où elle avait bu plus que de raison. Le destin avait joué les entremetteurs ce soir-là une fois de plus. Ce restaurant était précisément de la propriété de Thornton. Surpris, il lui adressa à nouveau la parole et intima à son employé barman de ne plus lui servir une goutte d’alcool. Alors qu’elle ne tenait plus debout, il avait appelé le numéro le plus fréquemment utilisé sur son téléphone et Judy était arrivée dix minutes plus tard pour la ramener chez elle. Elle allait sentir ses cheveux pousser le lendemain matin.

Il était venu prendre de ses nouvelles des jours durant et finalement, elle avait accepté de sortir enfin de chez sa meilleure amie pour un petit déjeuner avec le jeune homme qui s’était inquiété d’elle. Et les voilà tous les deux dans ce café. Visiblement, elle n’était pas totalement sortie de sa rupture. Elle s’était pourtant coupé les cheveux et cela lui allait magnifiquement bien. Ne pensant qu’à l’allègement de sa peine, Thornton profita qu’un de ses amis ne lui fasse signe de l’autre côté de la salle avant de reprendre son déjeuner avec sans doute un de ses clients. Il se pencha alors vers la jeune femme et lui monta d’un signe de tête cet individu avant de déclarer :

« Vous voyez ce type là-bas ? Vous ne croirez jamais mais il est dans une situation pire que la vôtre. Vous vous rendez compte qu’il a un véritable caïman empalé chez lui et qu’il ose le faire traîner dans son salon. Et c’est un fan inconditionnel d’Alerte à Malibu ! »

L’effet n’eut pas le résultat escompté et la demoiselle fondit à nouveau en larmes. C’était sans doute compréhensible après trois ans de ciel sans nuage avec un petit ami qu’on envisageait même d’épouser. Le visage de Thornton s’assombrit et s’inquiétant pour elle, il lui demanda, la voix tendue :

« Vous l’aimez ? »
« Je ne pourrai jamais aimer un fan d’Alerte à Malibu. » hoqueta-t-elle avant de rire doucement en écho avec celui de Thornton.

Dieu elle avait le rire le plus délicieux du monde. Il n’avait jamais cru au coup de foudre auparavant. Mais il n’avait jamais cru qu’on pouvait être anglais et aimer Elton John. Pourtant, l’ex de la jeune femme semblait remplir ces conditions. Il secoua négativement la tête.

« C’est vrai excusez moi. Vous êtes plutôt le genre de femme à vous entiché de fans de Starsky et Hutch. »

Il porta la tasse café à ses lèvres mais avant de goûter le breuvage sucré, il murmura l’air de rien :

« J’adore Starsky et Hutch … en passant, histoire de faire la conversation. »

Nouvel éclat de rire de la part de la jeune femme. Nouveau sourire sur les lèvres de Thornton. C’était tout ce qu’il recherchait. Il voulait juste alléger sa peine. Et visiblement, il y parvenait plus ou moins.

Celai faisait combien de temps ? Combien de temps où il était à la surface de l’eau ? Une vague et il se retrouvait sous la surface liquide, l’eau pénétrant dans ses poumons et l’empêchant de respirer sans qu’il puisse jamais obtenir l’espoir de remonter à la surface, de se délivrer du poids profond des souvenirs, de l’état léthargique dans lequel il se trouvait. L’extrait d’un film qu’ils avaient regardé ensemble sur le vieux sofa défoncé qu’elle se refusait de jeter à la benne parce que l’empreinte de leurs corps lovés l’un contre l’autre y étaient parfaitement empreints. L’odeur particulière que le soleil printanier posait sur leur peau mise à nu dans un dimanche après-midi parfait. La couleur de feu qu’un soleil permettait de refléter sur les cheveux d’une rousse passant dans les environs. Tout la lui rappelait. Tout l’enfonçait dans sa douleur de l’avoir perdu à tout jamais sans permettre de reprendre l’instant présent. Et voilà qu’il se trouvait à nouveau devant cette tombe qu’il n’avait plus revu depuis l’enterrement quelques mois auparavant. Cela avait été si brutal. Si soudain qu’il avait mis du temps à se rendre compte qu’il ne la serrerait plus dans ses bras. Qu’il ne pourrait plus avoir ces éclats de rire ensemble pour un oui ou pour un non. Et qu’il ne pourrait plus s’émerveiller devant la perfection de ses traits.

« Je suis désolé d’avoir mis du temps à venir te voir, mon cœur. » murmura-t-il en posant des tulipes sur la tombe. Ses fleurs favorites. C’était tellement dur de lire ce nom gravé dans la pierre froide et glaciale avec ces dates en dessous. Non, ce n’était pas juste. Il avait appris que la vie n’était jamais juste. Une enfance sans père, la démence de sa mère qui l’avait conduit à la faire hospitaliser à regret, son divorce qui avait la cause de leur unique et ultime dispute. Il pensait avoir assez donné dans la liste de la tragédie. Et voilà qu’il se trouvait dans ce cimetière en train de fleurir la tombe de son grand amour, celle qui avait accepté de l’épouser le soir même où un camion avait mis un frein à leur projet d’avenir radieux.

La fin de leur histoire avait eu un goût particulièrement amer en ce qu’elle avait été en parallèle avec le début. Un quiproquo, un malentendu avait fait penser à la jeune femme que Thornton était marié et qu’il l’avait utilisé comme maîtresse. Elle sortait elle-même d’une rupture difficile quand il l’avait croisé à son restaurant. Elle n’avait sans doute pas eu envie de reproduire le schéma, de se faire encore avoir par quelqu’un à qui elle avait donné son cœur. Dans un premier temps, il avait totalement ignoré la raison de son silence. Il avait été voir sa meilleure amie mais elle n’avait rien voulu lui dire. Pour être clair, elle lui avait même passé un savon dont il se souvenait. Mais contrairement à l’ex petit ami de la jeune femme, Thornton n’avait pas lâché prise. Il l’avait cherché partout à travers la ville, allant à chacun des endroits où ils allaient habituellement, om elle trouvait refuge. Finalement, c’était par le plus complet hasard qu’il l’avait trouvé en haut d’un pont. Son cœur avait cessé de battre jusqu’à ce qu’elle consente à s’éloigner de la rambarde. Mais c’était uniquement pour se soustraire à lui. Elle ne voulait plus rien à voir à faire avec lui. « Je suis en train de divorcer. Betty est quelqu’un de bien. Elle a accepté de jouer le jeu pour ma mère. Elle a accepté de continuer à faire semblant pour elle. C’est quelqu’un de bien mais tout est fini. C’est avec toi que je veux passer ma vie. Est-ce que tu veux passer la tienne avec moi ? » Et ce camion avait tout gâché.

Son poing rageur percuta la terre meuble. Il se mordilla la lèvre inférieure tandis que la douleur physique remonta son bras pour venir se répandre dans tout son corps. Il avait espéré que par ce geste il atténuerait la souffrance qu’il ressentait depuis des mois. Mais rien n’y faisait. Rien n’y ferait jamais.

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Oui, désolée du délai. Je suis en stage et vu mes horaires (je rentre chez moi à 20h), j'ai franchement pas la force de me mettre devant l'ordi le soir. Je ne le fais donc que le week end.

Fiche terminée cet aprem. J'espère que ça va.